L'évolution a d'abord été physique, puis chimique; elle a été biologique pour devenir, avec l'avènement de l'humain, culturelle. Se pourrait-il qu'elle ait maintenant à devenir spirituelle? Que ce soit le défi de l'avenir?
Pour Frédéric Lenoir un virage a déjà été amorcé dans les années 50/60: depuis la spiritualité tend à l'accomplissement de soi, à la recherche du sens de la vie, d'une sagesse sans absolu; c'est un travail sur soi pour être mieux ou bien, pour aller vers ce qui est juste, plus vrai, pour grandir et s'appuyant sur les qualités de l'être humain. La recherche personnelle s'appuie sur les éléments pratiques de la spiritualité sans les éléments théologiques; c'est une quête au plus profond de soi; elle est donc fluctuante, tantôt mystique mais volontiers apophatique car on a beaucoup trop parlé de Dieu au lieu d'en faire l'expérience… La spiritualité est surtout une hygiène anti-stress pour mieux habiter l'instant présent et réduire ainsi nos angoisses.
Faut-il alors opposer les approches laïques des approches religieuses?
Pas nécessairement.
Dans notre lecture de la réalité, nous aurons à définir nos liens à une transcendance: le mot religion de religere peut signifier cueillir, rassembler ou être dérivé de religare qui signifie lier, relier. Y a-t-il une présence, une force, une intelligence, un au-delà à l'humain qui peut être cueilli, peut nous rassembler, auquel nous sommes liés et reliés ? Que faudrait-il pour cela ? Deux choses assurément:
Le champ qui interconnecte tout l’univers est bien réel, quel que soit le nom que nous lui donnons et quelles que soient les lois de la physique auxquelles il se conforme ou non. Il est ici en cet instant même ; il existe sous la forme de vous et de moi. Il est aussi notre univers intérieur et extérieur, le pont quantique entre tout ce qui est possible dans notre esprit et ce qui devient réel dans le monde.
Max Planck y fit allusion en 1944, au cours d'une conférence qu'il prononça à Florence, en Italie. Il osa alors une affirmation qui ne fut sans doute pas très bien comprise par les scientifiques de l'époque. Ces paroles prophétiques sont aussi innovatrices en ce XXIe siècle qu'elles l'étaient quand il les prononça ces mots :
"Ayant consacré toute ma vie à la science la plus rationnelle qui soit, l'étude de la matière, je peux vous dire au moins ceci à la suite de mes recherches sur l’atome : la matière comme telle n'existe pas ! Toute matière n'existe qu'en vertu d'une force qui fait vibrer les particules et maintient ce minuscule système solaire qu'est l'atome. Nous pouvons supposer sous cette force l'existence d'un Esprit intelligent et conscient. Cet Esprit est la matrice de toute matière."
Et rappeler avec Paul Ricœur que l’absolu équivaut à l’altérité absolue, à ce qui transcende notre expérience habituelle et nos constructions intellectuelles spontanées. L’absolu n’est pas forcément divin, mais le divin intervient dans l’histoire en tant qu’absolu, en tant qu’altérité radicale. Or l’absolu se présente sous la forme d’un témoignage, dans la mesure où il apparaît non pas comme une présence triomphante et irrécusable mais comme un appel, comme la proposition d’un monde inédit. Il se présente donc de manière strictement non autoritaire. Pour Ricœur, croire, ce n’est pas adopter une attitude de soumission et de fidélité aveugle, mais c’est reconnaître la fiabilité du témoignage dans le cadre d’un examen critique. On reconnaît un vrai témoignage à sa puissance d’innovation. et j'ajouterais, à sa puissance de libération !
Une spiritualité bien pensée se mesurera à sa puissance d'innovation et à sa puissance de libération. Elle devra nous permettre de sortir des aliénations courantes.
Nous aurons à sortir de l'égocentrisme: L'homme enfermé en lui-même, réduit à son individualité naturelle, immergé dans les soucis de la vie temporelle, s'aliène aux nécessités de la survie : s'installent la peur de manquer, l'angoisse de l'insécurité, la hantise de la solitude, qui trop souvent font prendre des décisions qui engendrent des conséquences fâcheuses et alourdissent le fardeau du quotidien. Cette aliénation au monde visible, extérieur à cet univers clos où tout est référé à nos perceptions et à nos conceptions, c'est le mouvement de l'égocentrisme.
il faudra apprendre à" Passer du besoin au désir, du charnel au spirituel, c'est aller vers la joie de tout l'être et non pas vers la satisfaction d'un besoin partiel. Pour y arriver, il faut quitter le jeu des identifications stériles à la vie des autres ou à leur personne. Aimer c'est engendrer, susciter, éveiller, réveiller. C'est le contraire de vivre en circuit fermé, de posséder pour soi: richesse, savoir, pouvoir (Françoise Dolto)."
Nous aurons à quitter la course effrénée à la satisfaction de nos besoins de sécurité, de confort matériel, de puissance, de gloire, de richesse et de jouissance...
Nous devrons affronter courageusement nos peurs viscérales:
La peur de l’inconnu : L’être humain a une tendance naturelle à préférer ce qu’il connaît.
La peur du rejet : C’est la peur d’être ridiculisé, ignoré ou mis de côté. Le besoin d’être accepté par son groupe est un besoin vital. Cette peur d’être exclu est profondément ancrée dans notre inconscient du fait qu’autrefois la survie d’un individu reposait sur son appartenance au groupe (nourriture, territoire, etc).
La peur de se tromper : Il arrive souvent que nous évitons d’agir ou de prendre une décision parce que nous doutons de la pertinence de nos choix.
La peur de l’échec : Elle est très liée avec la peur de se tromper. Cette peur est omniprésente et très forte dans nos sociétés occidentales où règne une délétère dictature de la performance. Elle est moins présente dans les sociétés qui donnent plus de place et d’importance à la spiritualité.
La peur de réussir : Oui de réussir, vous lisez juste ! Elle semble paradoxale mais cette peur n’est pourtant pas rare.
La peur du pire : Une phrase absurde dit « espérer le meilleur et se préparer au pire ». Depuis tout petit nous sommes conditionnés à imaginer le pire et à le craindre pour l’éviter.
La peur du changement : Le changement est naturel chez l’être humain. On apprend à lire, marcher, etc de manière à devenir plus indépendant. Mais il est courant de céder à la tentation de privilégier la sécurité.
La peur de l’engagement : Elle est souvent associée aux relations amoureuses. Or, elle peut concerner les différents autres aspects de votre vie comme le travail, la famille.
Mais aussi la peur de souffrir et la peur de la mort.
- Une spiritualité bien pensée devra nous permettre de quitter la fascination du Soi idéal.
Lise Bourbeau le dit ainsi: " S’accepter véritablement signifie accepter tout ce que nous considérons comme négatif à notre sujet. C’est reconnaître que nous avons des faiblesses, des peurs, des blessures, que nous sommes parfois incompétents, etc. " -
Nous serons ainsi toutes et tous en quête d'une vérité crue, confessée, attestée, vécue et expérimentée. Chaque vérité aura ses lourdeurs et ses légèretés. Si je crois par exemple que l'univers est une machine phénoménale à combiner les possibles en fonction de lois connues ou inconnues, du hasard et de coïncidences heureuses, alors il me faudra faire avec un humain à considérer comme une sorte de robot biologique sophistiqué inscrit uniquement dans une lutte pour survivre dans un environnement hostile ! Si au contraire nous croyons en un Esprit intelligent et conscient la Matrice de tout - nous pouvons envisager avec cet Esprit un partenariat créatif.
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Il sera bon d'apprendre la beauté du repentir, cette ré-orientation du désir qui s'exprimait par rapport au monde et qui maintenant est orienté vers Celui qui est Source de désir en nous car il est Source de vie et de résurrection, ici compris comme un exil hors du mortifère:
« Cette vie de résurrection telle qu'elle est ouverte par le Christ, commande une manière d'être qui se prépare maintenant en choisissant de vivre une vie de relations marquées par l'anti-puissance, par l'anti-meurtre, par une manière de vivre bénéfique pour autrui. (Georges Haldas)» -
Ici, espérer, c'est croire en l'aventure de l'amour-agapè fondé et illustré presque à la perfection en Jésus Christ en qui nous pouvons définir le paradigme d'un retournement inégalé à même de nous aider à sortir de la violence cachée dans le désir mimétique et le sacré.
Pour Gerg Theissen, le phénomène Jésus est à situer dans une société éclatée parcourue par des tensions nées notamment de l’occupation romaine ; il y avait beaucoup d’agressivité ; tous rêvaient de voir Dieu chasser l’occupant et rendre à Israël sa splendeur. Un petit groupe de marginaux est apparu sous la conduite de Jésus ; ils ont fait l’expérience d’une spiritualité renouvelée en prônant une vision nouvelle de l’amour et de la réconciliation, tous deux destinés à régénérer la société de l’intérieur. Étaient-ils, au sens moderne du terme, des pacifistes ? Ou des doux rêveurs, pauvres en agressivité, insensibles aux problèmes de leur temps ? Les sources évangéliques démentent cette image d’Épinal. Jésus et ses adeptes ont mis au service de leur vision nouvelle une critique radicale de la richesse et de l’abus des biens matériels, du pouvoir du temple, des pharisiens et des prêtres, de l’exclusion des malades, des pauvres ou encore des tabous religieux. Ainsi, « une grande partie de l'agressivité était détournée, déplacée et symbolisée. C'est ce traitement de l'agressivité qui permit alors de créer l'espace nécessaire à la nouvelle vision de l'amour et de la réconciliation, dont le nouveau commandement de l'amour des ennemis occupait le centre. Le surgissement de cette vision elle-même reste une énigme, car on peut retenir la conclusion inverse : les différentes formes du traitement de l’agressivité présupposaient une absence d'angoisse, une nouvelle confiance fondamentale dans la réalité, celle qui rayonne de la figure de Jésus — jusqu'à aujourd'hui. »
Le christianisme de Jésus, éd. Relais Desclée, 1978
Six axiomes sont issus du christianisme primitif:
- L'axiome personnel charismatique: Dieu s'est fait connaître en Jésus: c'est par lui que son message est reçu.
- L'axiome eschatologique: la relation à Jésus est unique: en lui commence un monde nouveau.
- L'axiome de la conversion: la rencontre avec Jésus amène à quitter des anciens modèles de conduite et à se convertir à de nouvelles formes de vie.
- L'axiome de la souffrance: la souffrance du Christ annonce la libération du péché et de la mort.
- L'axiome de l'intégration: les perdus sont ramenés dans la communauté, les exclus accueillis, l'ennemi est aimé. L'humanité est réunie et les puissances hostiles apaisées.
- L'axiome du changement de position: il y a redéfinition de ce qui est saint, des frontières entre l'intérieur et l'extérieur; l'ordre social hiérarchique, supérieur/inférieur, est lui aussi revu et corrigé en fonction de Jésus Christ qui s'est abaissé pour être élevé au-dessus de toutes les puissances terrestres.
Ces axiomes s'articulent sur une communauté d'action qui combat l'aliénation mondaine tout en profilant une force nouvelle. Georges Haldas la disait ainsi: « Dans le monde économique plus vous dépensez, relève Georges Haldas, plus vous vous appauvrissez. Dans le Royaume du non espace-temps, c'est tout le contraire. Plus vous vous dépensez pour l'autre, plus vous vous enrichissez. » Le Christ ne nie ni le biologique, ni le social. Il est au-delà.
In Histoire sociale du christianisme primitif Labor et Fides 1996
Pour René Girard : Le désir est mimétique et le sacré est l'origine des violences.
Le désir mimétique est associé à la mimésis d'appropriation. René Girard note en premier lieu dans le comportement humain (et même animal) une dimension imitative, c'est-à-dire une volonté d'imiter son semblable. Cette mimésis est indispensable à l'homme pour être homme justement. Il apprend à parler, à marcher, à se conformer à des lois, à s'intégrer dans une culture. René Girard fait une distinction entre la mimésis d'apprentissage et la mimésis de rivalité, source de tous nos conflits.
La mimésis de l'antagoniste. L'homme est gouverné principalement par ce que René Girard appelle le désir mimétique qui se décline principalement à travers : La mimésis d'appropriation. René Girard note en premier lieu dans le comportement humain (et même animal) une dimension imitative, c'est-à-dire une volonté d'imiter son semblable. Cette mimésis est indispensable à l'homme pour être homme justement. Il apprend à parler, à marcher, à se conformer à des lois, à s'intégrer dans une culture. René Girard fait une distinction entre la mimésis d'apprentissage et la mimésis de rivalité, source de tous nos conflits.
Selon René Girard, la forme ontologique du désir humain est mimétique. A ne désire pas un objet B pour ses propriétés particulières mais parce que C le possède. Il n’y a donc pas d’autonomie du désir mais une médiation : l’une externe (qui concerne l’inaccessible), l’autre interne qui fait de l’autre un modèle, un rival. « Seul l'être qui nous empêche de satisfaire un désir qu'il nous a lui-même suggéré est vraiment objet de haine. Celui qui hait se hait d'abord lui-même en raison de l'admiration secrète que recèle sa haine. Afin de cacher aux autres, et de se cacher à lui-même, cette admiration éperdue, il ne veut plus voir qu'un obstacle dans son médiateur. Le rôle secondaire de ce médiateur passe donc au premier plan et dissimule le rôle primordial de modèle religieusement imité. Dans la querelle qui l'oppose à son rival, le sujet intervertit l'ordre logique et chronologique des désirs afin de dissimuler son imitation. Il affirme que son propre désir est antérieur à celui de son rival ; ce n'est donc jamais lui, à l'entendre, qui est responsable de la rivalité : c'est le médiateur (René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque, Pluriel, p. 24-25) » L’objet du désir s’estompe toujours au profit du médiateur. S’en suit le schéma classique : désir – rivalité – crise. Cet aspect du désir mimétique peut prendre des formes diverses, réelles ou symboliques, qui se retrouvent dans une idéologie, l’imitation d’un modèle social, dans nos fascinations pour les produits de marques ou de luxe, etc. Le désir mimétique va de la simple convoitise en passant par la jalousie jusqu’à l’holocauste : il concerne la quasi-totalité des comportements individuels et collectifs depuis la nuit des temps. Cela veut dire, pour René Girard, que la civilisation repose en fait sur le meurtre, sur le mensonge, et sur la dissimulation de meurtre : « On ne veut pas savoir que l'humanité entière est fondée sur l'escamotage mythique de sa propre violence, toujours projetée sur de nouvelles victimes. Toutes les cultures, toutes les religions, s'édifient autour de ce fondement qu'elles dissimulent, de la même façon que le tombeau s'édifie autour du mort qu'il dissimule. Le meurtre appelle le tombeau et le tombeau n'est que le prolongement et la perpétuation du meurtre. La religion- tombeau n'est rien d'autre que le devenir invisible de son propre fondement, de son unique raison d'être (René Girard, Des choses cachées depuis la fondation du monde, p 244, Biblio essai.). »